« Comment la semaine de 4 jours a planté ma boîte » : ces erreurs à ne pas reproduire dans votre entreprise
Julien Le Corre a été l’un des premiers Français à mettre en place la semaine de quatre jours dans son entreprise. Il nous raconte pourquoi ça n’a pas fonctionné.

La semaine de quatre jours, Julien Le Corre l’a mise en place bien avant que le sujet ne fasse la Une des médias et que des tests à grande échelle ne soient lancés aux quatre coins du globe. En 2020, en pleine crise sanitaire, cet entrepreneur décide d’appliquer ce rythme de travail aux vingt collaborateurs de son agence de communication : « C’est dans mon tempérament de vouloir être en avance de phase. Je voulais être ce patron innovant qui encourage les transformations du travail. On était déjà en full remote et je voyais la semaine de quatre jours comme un progrès. »
Mais, dix-huit mois plus tard, il met un terme à l’expérience, car son entreprise court droit à sa perte : chiffre d’affaires divisé par deux, rupture de la cohésion d’équipe, perte de clients… En octobre 2023, l’agence est placée en liquidation judiciaire. « Comment rebondir après la fin d’une boîte à laquelle on a consacré sept ans de sa vie ? Je me suis dit qu’il fallait raconter cette histoire différente des autres dans un livre, pour donner du sens à tout ça et autopsier cet échec. »
Un cadre trop rigide
Au fil des pages de Jour off*, Julien Le Corre revient sur les erreurs qu’il a commises. A commencer par une phase de test trop courte. « J’étais trop confiant et je me suis contenté d’une expérimentation d’un mois, qui en aurait mérité six. Car c’est un changement massif de l’organisation du travail, du rapport au temps de travail, à l’équipe, à l’entreprise, au travail et donc ça ne se fait pas comme ça, en claquant des doigts ! »
Deuxième mauvaise idée, selon lui : avoir imposé un même jour off à tous, le vendredi. « J’ai pris cette décision par souci d’équité entre les salariés. L’entreprise était donc fermée le vendredi, mais c’était, en réalité beaucoup trop rigide et ça a altéré la qualité du service vis-à-vis de nos clients. Plus de flexibilité aurait permis de mieux adapter le dispositif aux besoins et aux contraintes des collaborateurs, et aurait probablement généré moins de frustrations lorsque certains d’entre eux étaient amenés à travailler, ne serait-ce que quelques heures sur leur jour off. »
Un manque de concertation avec les équipes
L’ancien chef d’entreprise impute aussi cet échec au manque d’alignement entre les associés et au manque de concertation avec les collaborateurs : « J’ai eu tendance à surpondérer la valeur que la semaine de quatre jours pouvait avoir aux yeux des collaborateurs. A la fois en termes de bien-être et d’attachement à l’entreprise. J’ai pêché par excès d’idéalisme. Le principe est sympa mais ne remplacera jamais une augmentation de salaire ou le fait de proposer aux équipes des projets excitants. La semaine de quatre jours ne peut pas être le centre de la proposition de valeur d’une entreprise : on ne rejoint pas et on ne reste pas dans une entreprise pour ça mais parce qu’on aime les projets sur lesquels on travaille et les gens avec lesquels on travaille. »
Il regrette aussi de ne pas avoir listé suffisamment d’indicateurs pour mesurer le succès de la mise en place de la semaine de quatre jours, notamment en termes de variation de la productivité, de la rentabilité, de la satisfaction clients et de la charge de travail.
Rétrospectivement, il se dit que le combo 100% télétravail / semaine de quatre jours a sans doute été fatal à la cohésion d’équipe : « Je pense que les deux modes d’organisation sont valables, mais ne peuvent pas cohabiter. En tous cas, je serais curieux de voir une entreprise réussir à allier les deux. »
Une expérience menée en solo
Déjà en 2020, Julien Le Corre était convaincu qu’il ne fallait pas y aller seul. Mais le sujet était encore confidentiel et il n’avait pas réussi à embarquer d’autres entreprises dans l’aventure. « A l’époque, personne n’en avait entendu parler. A partir du moment où l’on connait tel entrepreneur dans son entourage qui l’a fait, où l’on sait que le gouvernement l’expérimente dans certains ministères, qu’il y a tel autre pays qui l’a testée, ça crée un effet de halo qui corrobore la viabilité de ce mode d’organisation du travail. Il existe aussi plus de dispositifs d’accompagnement, à l’image de l’association 4jours.work qui vient de lancer le premier pilote national français », souligne Julien Le Corre.
Son conseil à ceux qui veulent se lancer : « Ne pas partir du principe que la semaine de quatre jours est un progrès en soi, mais voir les choses sous l’angle pragmatique. Avoir conscience de la complexité de sa mise en place, s’assurer que les dirigeants et les collaborateurs soient tous alignés sur les raisons de cette transition et écouter les avis de tous, y compris les éventuelles réticences. »
A-t-il fait une croix sur la semaine de quatre jours pour autant ? « Après avoir fait longtemps la course seul en tête, je laisse les autres me passer devant pour apprendre aussi de leurs expériences. Et si je le refais un jour, je le ferai peut-être dès la création de mon entreprise, avec des gens qui l’ont déjà testée ailleurs. »
*Jour off – Comment la semaine de 4 jours a planté ma boîte, de Julien Le Corre, Valeur ajoutée éditions, octobre 2024, 174 p.